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Certaines inspirations ont plus de souffle que d’autres ; certaines visions, plus de hauteur ; certaines idées, plus d’énergie. C’est le cas des ailes d’Airseas qui permettent aux navires de commerce d’ajouter la traction éolienne à la propulsion mécanique. Plutôt que de se tourner avec nostalgie vers le sillage de l’histoire maritime en imaginant un retour à la marine à voile, la start-up considère l’avenir avec pragmatisme pour inventer une nouvelle forme de motorisation hybride. Une connexion inattendue avec la mer pour Airbus, associé aux origines du projet.
90% du transit mondial de marchandises passe aujourd’hui par les océans, devenus « autoroutes de la mondialisation ». Conséquence, la contribution du trafic maritime aux émissions mondiales de gaz à effet de serre est évaluée à 3%. Plus problématique, cette part pourrait augmenter de 50 à 250% d’ici 2050 si rien n’est fait. Le dernier G7 de Biarritz a d’ailleurs repris une proposition des organisations européennes « Seas at Risk » et « Transport & Environment » qui suggèrent de réduire la vitesse des navires pour lutter contre le réchauffement climatique. Une diminution de leur allure de 20% se traduirait par une baisse de 24% de leurs émissions. Un premier pas intéressant car le fuel utilisé par les navires a une concentration en soufre plus de 3 500 fois supérieure à celle du diesel, ce qui fait de cette activité l’une des plus polluantes de la planète.
À l’issue de douze ans de travail, l’Organisation maritime internationale (OMI, une agence de l’ONU) est parvenue à un accord limitant la concentration en soufre du fioul maritime à 0,5% dès 2020, contre 3,5% actuellement. Or, en matière environnementale, le temps presse, dorénavant. C’est tout l’intérêt du concept Airseas, créé en 2016, que de proposer aujourd’hui un moyen d’économiser, selon les routes, de 20 à 40% de carburant (et donc de rejets). Le principe rappelle celui d’une aile de kitesurf ou de parapente mais à l’échelle XXL. « Une aile de 1 000 m2 positionnée devant le navire et faisant des mouvements de huit par rapport à la route permet d’accélérer le vent relatif pour lui faire atteindre jusqu’à 140 km/h. Il en résulte une force de traction pouvant atteindre 100 tonnes » explique Vincent Bernatets, PDG et fondateur d’Airseas. C’est en travaillant chez Airbus sur la création d’activités nouvelles à partir des compétences clés de l’entreprise que ce passionné de voile a imaginé Seawing.
« Le savoir-faire Airbus a permis le développement d’un système de pilotage automatique inspiré de l’aéronautique qui indique à quel moment utiliser la voile en fonction de la météo et sur quelle route. Ce qui fait toute l’opérationnalité et la performance de la solution Airseas, c’est précisément cette automatisation totale du dispositif. Une pression sur un bouton suffit à l’équipage pour que la voile se déploie à partir d’un mât de 30 mètres. Elle se place 500 m environ devant le navire et se pilote seule grâce au boîtier installé sur l’aile. Une autre pression et l’aile se replie dans son logement à bord. » De quoi convaincre l’armateur japonais Kawasaki Kisen Kaisha (K Line), cinquième flotte mondiale avec 520 navires, avec qui Airseas a signé un premier contrat majeur. Après un test opérationnel fin 2021, la start-up toulousaine fournira 50 vraquiers de 300 mètres de long.
Connecter l’aéronautique et le maritime, l’eau et le vent, l’éolien et le moteur thermique, le fossile et le renouvelable ne prend tout son sens que s’il met en relation les entreprises de son territoire entre elles.
Vincent Bernatets, PDG et fondateur d’Airseas
D’ici là, Airseas commencera par équiper fin 2020 un cargo de 150 m d’Airbus affrété par Louis Dreyfus Armateur qui transporte des éléments de l’A320 entre Saint-Nazaire et l’usine d’assemblage de Mobile aux États-Unis. Mais, pour Vincent Bernatets, « connecter l’aéronautique et le maritime, l’eau et le vent, l’éolien et le moteur thermique, le fossile et le renouvelable ne prend tout son sens que s’il met en relation les entreprises de son territoire entre elles. » Airseas travaille donc avec un cabinet d’architecture navale basé à Toulouse -LMG Marin- et avec un fabricant d’ailes que le projet va faire changer d’échelle, l’entreprise Nervures basée dans les Hautes-Pyrénées. Un changement de taille que va également connaître Airseas que son dirigeant voit à horizon 2030 « comme une scale-up de 200 à 300 personnes générant 2 000 emplois et livrant plusieurs centaines d’ailes chaque année ». Bon vent à Airseas.