INTERVIEW - janvier 2020

JEAN-MARC BOUCHET

Fondateur et président de Lucia Holding

 

Ancien capitaine au long cours, Jean-Marc Bouchet a, depuis la fin des années 80, tracé un joli sillage dans le domaine des énergies renouvelables. Fondateur de Quadran, aujourd’hui propriété de Total après avoir été racheté par Direct Énergie, il a créé en 2017 un groupe dédié à la transition énergétique et aux énergies renouvelables.

 

Vous avez consacré 30 ans de votre vie aux énergies renouvelables et êtes profondément enraciné dans notre territoire. Quel regard portez-vous sur les atouts de l’Occitanie dans ce domaine et sur son ambition d’être la première région à énergie positive d’Europe ?

Jean-Marc Bouchet : C’est en visitant un jour une centrale hydroélectrique dans les Pyrénées-Orientales que sont nées ma fascination et ma passion pour ces énergies : voir de l’eau se transformer en électricité dans une turbine nous renvoie simultanément à une part d’enfance et à une intuition que la solution est là, évidente. Le « charme » n’a jamais cessé d’opérer et c’est ce qui fait que, depuis la fin des années 80, je consacre ma vie au sujet du développement de ces énergies. Avec un plaisir supplémentaire lié au constat du boom actuel de celles-ci. L’intuition était bonne. Et le simple mot de renouvelable n’est-il pas magique dans un monde qui résonne obsolescence programmée et peine à recycler efficacement ? Concernant l’Occitanie, notre région est bénie des dieux et a toute la panoplie des atouts pour le renouvelable. Des montagnes pour l’hydroélectricité, un fort ensoleillement pour le photovoltaïque, du vent pour l’éolien avec, en particulier, le triangle d’or Perpignan-Béziers-Carcassonne à terre et une bande maritime très ventée pour l’éolien flottant (plus de 300 jours de vent pour la zone de Leucate). Ce capital « physique » est en outre servi par une volonté forte, construite et pragmatique de valoriser pleinement ces atouts. Cet objectif d’être la 1re région de France à énergie positive est bien pensé, fondé, architecturé, doté en moyens…

 

Votre nouveau groupe, Lucia performe dans son développement, notamment à l’international. Pouvez-vous nous dire quels en sont les métiers, les objectifs, les atouts et les chiffres clés ?

JMB : Lors de la revente de Quadran, j’ai cédé nos activités françaises de production d’énergies renouvelables terrestres en conservant l’international et l’offshore, mais aussi une partie investissements dans les projets innovants participant à la transformation écologique en cours. On retrouve donc ces trois activités dans l’architecture des activités de Lucia à travers Quadran International, Quadran Énergies Marines, Lucia Innovation. S’y ajoute Primeo Energie qui intervient dans le négoce d’énergies (gaz, électricité…) et Premier Elément pour la production d’hydrogène. Concernant Quadran International, nous sommes présents dans une douzaine de pays dont le Brésil et le Vietnam, deux pays à forts besoins énergétiques. Nous avons plus de 800 MW en exploitation ou en construction et 3 500 MW autorisés représentant 3,5Mds€ à financer et construire. Il y a 2 ans, nous étions 2. Nous sommes 200 collaborateurs aujourd’hui et serons 300 fin 2020. Avant d’être la nôtre, cette croissance est celle du marché mondial des EnR qui connaît un formidable développement. Les économies jeunes et en pleine croissance ont compris que l’ère des centrales thermiques, mais aussi du nucléaire, était passée et que le renouvelable est LA solution d’avenir capable de répondre dès aujourd’hui à leurs besoins. Concernant Quadran Énergies Marines, l’actualité concerne la ferme pilote de quatre éoliennes au large de Gruissan dont le démarrage du chantier à Port La Nouvelle est prévu en 2021 et la mise en service fin 2022. Le sujet de l’éolien flottant est passionnant au vu de la taille des problèmes à régler : un flotteur pèse 7 500 tonnes ! Il l’est également au vu de son potentiel d’équipement en Méditerranée où les fonds tombent très vite et empêchent l’installation d’éoliennes posées sur le fond.

 

Votre dernière création de filiale en date est dédiée à la production d’hydrogène vert. Pouvez-vous nous en parler et nous dire quels sont les verrous à lever pour une utilisation massive de l’hydrogène dans les transports ?

JMB : Le premier élément est, en effet, la contribution de Lucia à la réflexion et à la structuration d’une filière hydrogène. Pourquoi ? Les EnR n’ont pas une production linéaire mais alternent des pics et des creux qui sont prévisibles. La première des raisons à la création de cette filiale dédiée à l’hydrogène, c’est de trouver un débouché à l’électricité verte que nous produisons. L’usine de Port-la-Nouvelle sera un site de production industrielle de grande capacité. L’électrolyseur permet de faire un stock tampon de l’énergie produite qui est ensuite redistribuée sur le territoire. D’une puissance de 50 MW, ce serait une des plus grosses usines au monde (la plus grosse aujourd’hui faisant 20 MW). Cette technologie par électrolyse est mature mais demeure coûteuse. Il nous reste donc encore des arbitrages économiques à affiner. Les verrous sont nombreux : technologiques, économiques, commerciaux, législatifs… En l’état, l’hydrogène coûte cher, se stocke mal sur de gros volumes, pose des questions de sécurité… Il en allait de même pour le photovoltaïque à la fin des années 70. Les problèmes ont été traités, et réglés, les uns après les autres. Il en ira de même pour l’hydrogène, que nous abordons « comme des agriculteurs », en essayant de construire une filière. Qui va m’acheter ma production, comment vais-je la stocker… ? C’est passionnant à tout point de vue car devenir autonome d’un point de vue énergétique et sans polluer représente un enjeu historique. Notre calendrier prévoit la production des premiers kilos d’hydrogène début 2023 et la vente en 2024.